De passage en France pour plusieurs tentaderos après une présentation réussie lors du Festival de Saint-Etienne-du-Grès, le matador de toros sévillan Francisco “Lama de Gongora” qui fêtera en 2025 ses 10 ans d’alternative revient, à l’occasion d’un entretien, sur sa trajectoire initiée par une sortie par la Porte du Prince à Séville, ses ambitions en passant par son exil en terres mexicaines…

A la suite de ton alternative, tu as pris la décision de quitter Séville pour le Mexique. Pourquoi cet exil ?

Lorsque j’ai pris l’alternative (le 18 avril 2015) le triomphe n’a pas été au rendez-vous et j’avais bien conscience que sans un triomphe ce jour-là je souffrirais, comme 99% de nouveaux matadors, d’un coup d’arrêt post-alternative. J’ai donc décidé de prendre mon destin en main afin de me forger comme torero et me préparer avec ce besoin de sentir le plus possible le toro, porter le costume de lumières, être dans les arènes. Je savais qu’en Europe cela allait être difficile et qu’il fallait que je sorte de ma zone de confort. Alors j’ai pris mon capote et ma muleta sous le bras et je suis parti ! Cela a été une période très dure, d’être éloigné des miens, mais aujourd’hui je peux dire que cela a été l’une des périodes les plus importantes de ma vie !

Tu as beaucoup toréé au Mexique. Comment s’est passé ton adaptation dans ce pays ?

Sincèrement, je considère ce pays comme ma deuxième maison. Au début je n’y suis allé que pour une seule corrida, mais j’ai eu la chance de pouvoir couper un rabo d’un toro de Paco Cordero, d’encaste Parladé. Ce triomphe m’a permis d’être programmé plusieurs fois ensuite et c’est pour cette raison que, de retour en Espagne j’ai communiqué à ma famille mon intention de rester plusieurs mois au Mexique.

En vérité je me suis retrouvé « une main devant, une main derrière ». La situation était telle qu’un jour, je me suis retrouvé à sortir de second derrière un autre matador de toros. C’était à la ganaderia Medina Ibarra. Le ganadero m’a reconnu et le lendemain il m’a offert deux vaches. Et comme cela s’est super bien passé, il m’a aidé à entrer au cartel d’une corrida qui elle aussi s’est très bien passée. C’est ainsi que j’ai pu toréer 48 corridas et 3 festivals au Mexique …

Séville le 7 avril 2024 (photo Maestranza Pagès)

En 2025 tu fêteras tes dix ans d’alternative. Quel regard portes-tu sur ta trajectoire ?

Très positive !  Il y a des toreros qui connaissent le triomphe très tôt dans leur carrière comme cela a été le cas pour moi durant ma période de novillero. Après lorsque tu es matador, il faut parfois un temps, plus ou moins long, pour être pleinement capable d’exprimer ce que tu as à l’intérieur de toi. Ces 10 années en tant que matador de toros, je les valorise car durant tout ce temps j’ai pu me façonner et je sais aujourd’hui la tauromachie que je peux exprimer, l’histoire que je suis capable de raconter. Le maestro Sanchez Mejias disait « le toreo est un mystère et qu’il faut savoir le raconter ». Et aujourd’hui je sais que je suis capable de raconter mon mystère !

Tu as ouvert très jeune la Porte du Prince à Séville comme novillero sans picadors. Comment s’assimile ce genre de triomphe si tôt dans une carrière ?

La vérité c’est que cela ne s’assimile pas ! Car cela arrive je dirais sans prévenir, et tu ne peux pas te refuser à cela. C’était un rêve, celui d’un gamin du Barrio del Arenal qui rêvait de devenir torero. Toréer pour la première fois dans tes arènes et ouvrir la Porte du Prince c’est incroyable ! Mais non, cela ne s’assimile pas car je n’étais pas encore en capacité d’assumer tout ce qui pouvait arriver ensuite. Mais c’est une sensation qu’il m’est impossible de regretter, car je sais la chance qui est la mienne de connaitre la sensation unique d’un triomphe à la Maestranza. Et je sais que je vais tout faire pour connaître ce bonheur à nouveau !

On sent que tu es un torero « echo », prêt et mentalisé. Selon toi, que te manque-t-il pour « exploser » ?

C’est un tout. Je suis comme on dit un torero « autodidacte ». Cela fait cinq ans que Jose Chacon et Lolo m’accompagnent. Mais avant j’ai toujours été très seul. Donc je pense sincèrement que tout ce que j’arrive à exprimer aujourd’hui résulte de ce que j’ai toujours recherché. J’ai tout à faire, mais aujourd’hui je suis certain de pouvoir exprimer beaucoup de profondeur dans mon toreo, avec beaucoup plus de recours techniques. Je crois que chaque artiste a besoin quelque part de souffrir pour s’identifier, se modeler et se réinventer. Je me suis trouvé et aujourd’hui je crois que je suis capable d’ouvrir un nouveau chapitre de ma trajectoire.

Séville, 7 avril 2024 (photo Maestranza Pagès)

Tu as coupé une oreille cette année à Séville. Est-ce que ce triomphe a entraîné une répercussion ?

Couper une oreille te sert énormément, c’est incontestable. Personnellement cela m’a fait beaucoup de bien. Ce sont les arènes de ma ville, l’une des plazas parmi les plus importantes au monde. Ce jour-là, j’ai remis mon destin entre les mains de Dieu et j’ai su qu’il allait se passer quelque chose d’important. Je n’ai pas eu beaucoup de chance avec mon lot, mais les aficionados et les professionnels ont pu voir mon bon moment, tant au capote qu’à la muleta. Cela m’a paradoxalement beaucoup plus servi pour l’Amérique du Sud que pour l’Europe, mais je reste serein et confiant. La carrière d’un torero se construit petit à petit. Il ne me reste plus qu’a triompher encore plus fort l’année prochaine.

Tu as pu débuter en France… (A Saint-Etienne-du-Gres, indulto d’un novillo de San Sebastian).

Effectivement. Ce festival a fait l’objet de ma présentation en France comme matador de toros et je ne pouvais pas rêver mieux que de pouvoir gracier un toro pour ce jour-là. Un toro de San Sebastian qui a été un très grand toro, avec lequel j’ai pu m’exprimer du début à la fin. Beaucoup d’aficionados et professionnels français ont vu, je pense, le bon moment dans lequel je me trouve. Je pense et je crois très sincèrement que ce triomphe pourrait m’ouvrir d’autres portes en France. C’est en tout cas l’un des objectifs pour 2025 !

Tu es actuellement ici en France pour plusieurs tentaderos…

C’est fondamental pour moi d’être ici, car en vérité peu de monde connait Lama de Gongora. C’est important de pouvoir démontrer ce que je suis et ce que j’ai à l’intérieur de moi aux professionnels français, aux ganaderos. Prendre le pouls de cette aficion, assimiler et profiter de la grande qualité du bétail français pour sans cesse évoluer. En France, il y a beaucoup de sérieux lors de tentaderos, les ganaderos français effectuent un travail extraordinaire et ne laissent rien au hasard. Les choses se font comme un peu comme à l’ancienne, dans le silence et le respect. Cette semaine en France me remplit d’illusions et si dieu le veut j’aurais l’opportunité de toréer quelques corridas ici en 2025…

Tu es considéré par la presse comme un torero artiste. Quel est véritablement ton concept du toreo ?

Je ne me considère pas comme un torero artiste. Mais j’avoue volontiers que j’aime énormément les toreros artistes. Je dirais plutôt que je suis un torero « intuitif », en essayant de m’adapter à l’animal. Mais c’est vrai que j’aime énormément soigner la lidia et les détails, un toréant avec beaucoup de plaisir en faisant du mieux possible ce qui remplit mon âme.

Que peut-on te souhaiter ?

De confirmer mon alternative à Las Ventas, et dans les Arènes de Nîmes !

QUELQUES PHOTOS DU TENTADERO CHEZ GALLON

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